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Les bleu et jaune de Didier Piketty

Didier Piketty, depuis le mythique atelier Carron à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, depuis le séjour à la Casa Velasquez et la révélation des sierras hispaniques, a choisi le paysage comme lieu et témoin de son désir et acte de peinture. Non qu’il se refuse à pratiquer d’autres genres. On trouvera bien sur les rayons de son atelier quelques natures mortes ou portraits. Il reste que sa pratique quotidienne est aujourd’hui celle du paysage intimement vécu et pictorialisé.

Cela reconnu, commencent les surprises et d’abord celle de la reconnaissance des lieux. Il ne semble pas qu’il y ait une région élue dont le peintre resterait le chantre vénéré dans les siècles des siècles. Certes on reconnait des endroits devenus familiers ; Cherbourg, Paris, New York sont ainsi bien reconnaissables mais on comprend aussitôt que la description attentive, la qualification géographique, climatique, sociologique ne sont pas le souci premier du peintre.

Didier Piketty trouve ou plutôt invente ses sujets ; il les discerne dans le maquis et la pléthore des informations que donne le réel. Le sujet ne sera pas tel ou tel building new yorkais, parfaitement numéroté, pas plus que la centrale d’Ivry. La Rotonde à Montparnasse, une quelconque maison normande à fleur de départementale ou certain immeuble familial du quai Henri IV. Une alliance improbable entre divers éléments de la réalité, que ce soit une passerelle métallique toute en bleu, un fossé ou n’importe quelle combinaison de nature et de culture, de noble et de banal, s’est formée et imposée sous les yeux mêmes du peintre. Il reviendra à celui-ci de savoir transcrire cette révélation et la rendre visible sinon tangible aux amateurs et demandeurs d’émotions peintes.

On a pu vérifier depuis longtemps combien l’artiste est digne de cette mission dont on mesure l’ambition et le risque. En résumé il est censé ne peindre que les émotions suscitées dans et par son paysage. Un tableau de Piketty a pour vocation d’être en somme une réunion, un oratorio de petits et grands pans de mur vermeeriens. Le paysage à la Piketty sera donc tressage d’émotions pures, un assemblage de sensations immédiates.

Cette exigence d’authenticité justifie l’aller que pratique Piketty entre le motif sur place et l’atelier, entre ses notes à la gouache sur papier et leur retranscription sur toile. C’est alors que l’artiste n’hésite pas à oublier, à supprimer ce qui lui semble secondaire, ce qui disperserait l’attention et ne renforcerait pas l’intuition-émotion originelle. Le peintre peut ainsi dans son atelier travailler sur plusieurs tableaux à la fois, pendant plusieurs mois jusqu’à ce que l’équilibre soit trouvé entre la masse des données enregistrées dans l’esquisse sur le terrain et l’exaltation finale des seules parties porteuses de l’inspiration première. Cette pratique des choix au service de l’essentiel insère Didier Piketty dans la continuité du paysage classique où tout a un sens et répond à une nécessité : l’exigence  ici et celle de la fameuse émotion suscitée par une rencontre, une rencontre inattendue et subite, par exemple une passerelle métallique superbement bleue de bleus, trouvée dans un fossé à Cherbourg, désormais promise à l’immortalité par le regard et la transcription du peintre.

Cette passerelle de Cherbourg (comme les parapluies pour d’autres) pourrait fort bien servir de révélateur de la manière de voir du peintre et de ses élections chromatiques. Un lieu apparemment indifférent qui a su parler à l’artiste peut ainsi être promu à l’honneur de sujet. L’œil du peintre, que ce soit à Paris au bord de Seine, dans le New York des « brownstones  », dans son cher Cherbourg est un révélateur de superbes, étonnants, glorieux  bleus et jaunes, l’oriflamme du paysage selon Piketty. L’incarnat des immeubles new yorkais compose de même avec l’or des soleils couchants. Cette splendeur n’est jamais arrogante. Elle s’accompagne d’une attente, d’un espoir, d’une promesse d’avenir mais aussi comme d’une inquiétude. A quel futur peuvent s’attendre ces pages d’histoire contemporaine dévoilées par l’œil du peintre ? De quelle navigation le hall de la gare maritime de Cherbourg témoignera-t-il ? L’explosion des couleurs n’est pas le gage d’une sécurité. Elle résonne aussi comme un chant des départs et incertitudes de la vie.

L’absence ou le petit nombre des personnages rend encore plus grave le climat dans lequel ces architectures infusent ; l’anecdote n’a pas cours ici ; la description est réduite au minimum. Les invariants plastiques sont appelés seuls à représenter les beautés et étrangetés du monde, dans un climat et une volonté de sérénité. Est-ce pourquoi Didier Piketty préfère les fins des jours quand l’agitation journalière se calme, quand les voitures rentrent chez elles et tournent le dos à la ville et à leur peintre ? C’est dans ces moments où, le soleil baissant, les détails inutiles et trop agités se calment, cessent d’exiger et monopoliser l’attention que le peintre choisit d’intervenir.

Le désert des quais, des stations-services, des usines et centrales n’est jamais misérabilismes ni minimalismes ; il permet le libre développement des jeux et apparitions de couleur et de lumière dans lesquels Didier Piketty tient la place du visionnaire. On comprend mieux alors la volontaire maigreur des titres donnés par le peintre ; pas trop de précisions géographiques qui réduiraient l’artiste au rôle de propriétaire ou gestionnaire d’un territoire ! Pas de suggestions trop poétiques et recherchées qui restreindraient la liberté du spectateur, sa capacité de dialoguer avec l’œuvre. Le sûr est que Didier Piketty, dehors et dans son atelier est le sourcier qui sait piéger et exalter sur ses toiles les bonheurs de la peinture face au paysage. Et tout cela pour la plus grande gloire de son « bleu et jaune ».

Bruno Foucart

Professeur émérite à l’université Paris IV Sorbonne


Ce qui frappe en regardant les peintures de Didier Piketty, c’est ce goût affirmé

pour les paysages où l’homme a laissé sa trace ; ici un port, là une usine, ailleurs

un entrepôt.

Les puissances conjuguées – celles de la nature et celles de l’homme – se marient

dans une combinaison simple, essentielle, sous une lumière qui englobe ce spectacle

tandis que la nature , par son déroulement profond garde le premier rôle.

A grands traits évocateurs, l’impression du peintre est toujours forte et affirmée.

Ces touches colorées laissent un vaste espace à l’imaginaire qui peut ainsi s’approprier

le paysage.

Patrick Arnoux